Simon Johannin:
» Ben m’a demandé d’écrire un texte. Je ne connais pas vraiment Ben, mais je sais que comme lui, j’ai eu l’occasion de poser quelque fois une bouteille d’alcool sur le toit d’une voiture aux phares allumés en direction du vide.
En direction d’un moment que l’on veut sauver du reste, au milieu d’un endroit où alors tout semble à fuir, et rien à sauver.
Mais que voient ces phares. Quelles histoires ça raconte, une voiture qui baille en attendant que ceux qui s’en servent comme d’un nid finissent d’aplatir sa batterie en éclairant leurs ombres.
Il y a de la poésie ici. Parce que la poésie, c’est tout ce qu’il reste. C’est le dernier bout de chaque chose. A la fin, la voiture, les fleurs, les ombres et l’alcool rendu par contraction de l’estomac aux grands Dieux de la forêt et de la nuit, tout devient poésie.
C’est plus fort que moi, c’est plus fort que Ben et c’est plus fort que beaucoup d’autres. Pour le prouver, je pourrais raconter une histoire de voiture.
Ça serait d’abord celle du Renaud Express à l’arrière duquel, entassés à six ou huit, on allait prendre des cours de dessin, chez un couple étrange qui élevait des escargots.
Ça pourrait être celle dans laquelle j’ai cogné ma tête, le jour où Lorenzo à moitié ivre mort a tenté d’éviter un animal, pour nous écraser contre un pilonne électrique. Ça pourrait être celle d’un type que je n’aimais pas, dans laquelle une fille que j’aimais est partie baiser avec ce type que je n’aimais pas, et de la buée que tout ça formait sur ses vitres au petit matin. Celles pleines de douleurs qui ont décollé de la route pour plier la jeunesse de quelques amis dans leur tôle.
Celles, nombreuses, où j’ai fumé fenêtres fermées. Des 205 aux pneus lissent à force de tirer des câbles sur des parkings d’enseignes de magasin discount.
Des Clio où l’on parle d’amour et de trahison, où ça se touche dans le noir, et que l’on emmène rencontrer d’autres machines qui portent un peu toutes les mêmes âmes en quêtes d’expériences, de violence et de répit.
Des histoires de morts et d’émancipations, d’appétit de la route, de territoires dont il faut forcer les frontières, de chemins boueux et de cortèges interminables en direction de la destruction et de la renaissance du soleil.
Je n’ai pas mon permis, je ne sais si Ben a le sien, si quand il conduit il pense à tout ça. Mais je sais que ces machines ont une forme de conscience, qu’elles parlent et qu’elles sentent.
Si les objets s’incarnent par ce que nous déposons en eux, il y en a quelque chose ici de plus que ce que l’on peut voir. Vous marchez dans son rêve, son sommeil agite des images. S’il vous plait, ne la réveillez pas. »